AREC-F : Atelier de recherche sur l'enseignement du créole et du français dans l'espace américano-caraïbe

Créole et identité culturelle : cas du discours en créole dans les medias haïtiens

Fortenel Thelusma

septembre 2003


Introduction

Avec près de huit millions d'habitants, Haïti est, incontestablement, le pays le plus créolophone du monde, la majorité des Haïtiens n’ayant que cette langue comme outil de communication. Depuis les évènements du 7 février 1986, elle s’impose dans tous les secteurs de la vie nationale, y compris ceux qui étaient presque exclusivement réservés au français, notamment le parlement, la presse, etc. Comme on le sait, le créole à base lexicale française emprunte son lexique au français à 80%. Une fois passés au créole, ces éléments lexicaux subissent différentes transformations, notamment sur les plans phonétique et sémantique. Par exemple, mezire est totalement différent du mot français "mesurer" par la prononciation, la graphie et l’emploi selon le contexte (en créole, on "mesure" des chaussures alors qu’en français on les "essaie").

Le locuteur non averti ne sait pas et ne cherche pas à savoir si les langues utilisées dans une communauté donnée, qu’elles appartiennent ou non à la même famille, ont chacune leur propre système de fonctionnement ; pourtant cette différence sert souvent d’argument pour valoriser l’une au détriment de l’autre. L’origine sociale et historique du créole l’a toujours placé dans une situation d’infériorité par rapport au français, considéré comme langue de prestige. Ainsi, plus le créole parlé ressemble au français, plus il est valorisé. Une tendance largement répandue dans le milieu éducatif haïtien est qu’un mot prononcé en créole selon le système phonétique de cette langue peut influencer négativement la prononciation du même mot en français quand ils sont proches dans les deux langues. De ce fait, l’enfant haïtien est contraint par ses professeurs et ses parents cultivés d’éviter la prononciation pourtant correcte en créole des mots comme pwofesè, diri, sous prétexte que cette habitude induirait cet enfant en erreur quand il devrait passer au français. On lui apprend donc à utiliser une prononciation proche du français : pwofesè devient [pwofesœ] par exemple.

L’apprenant haïtien évolue ainsi dans un contexte où progressivement il déteste sa propre langue qui l’empêcherait de bien acquérir le français. Devenu adulte, il va se comporter inconsciemment comme un natif du français qui apprend le créole avec peine si bien que ses énoncés seront inanalysables avec des mots et expressions françaises ça et là, parfois avec une structure syntaxique ressemblant beaucoup plus au français qu’au créole. En fin de compte, les intellectuels haïtiens ont tendance à généraliser la francisation de leur discours en créole sur les plans phonétique, syntaxique et lexical. Le cas des médias en est une belle illustration.

Une enquête partielle sur quatre médias de la capitale haïtienne permettra de donner une vue panoramique de la situation. Il s’agit de deux stations de radio privées : Vision 2000 (99.3 FM stéréo) et Galaxie (104.5 FM stéréo) puis deux chaînes de télévision : une privée, Telemax, et la Télévision nationale d’Haïti (TNH).

Sur la TNH, j’ai recueilli les propos de deux journalistes sur un sujet à caractère politico-juridique lors d’une édition de nouvelles en créole (tele jounal kreyòl) diffusée tous les soirs de 19h-20h, samedi et dimanche non compris. Sur Telemax, j’ai enregistré les voix de deux journalistes intervenant tantôt dans la diffusion de nouvelles sportives, tantôt dans la retransmission de matches de football ou de basketball. Officiellement, aucune langue n’est annoncée pour communiquer ces informations. Sur radio Galaxie, une édition de nouvelles en créole "Dènye pawòl", diffusée généralement tous les soirs de 21h-21h45, samedi et dimanche exceptés, a été enregistrée avec la voix d’un journaliste sportif et celles de deux hommes politiques. Enfin, à Vision 2000, ont été retenus les propos d’un grand animateur de musique "konpa" dans une émission intitulée "Vizyon sou konpa" à l’antenne tous les soirs de 18h-20h, du lundi au vendredi, les samedis de 10h-12h. Au besoin, les deux langues officielles, le créole et le français, sont utilisées.

Le décor ainsi planté, on peut tenter de classer et d’analyser quelques-uns des propos recueillis.


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